La participation des usagers à la gestion de l’eau potable en France

Par Vivien Rebière, consultant en politiques publiques et membre de Coordination Eau Ile de France

Depuis le 1er janvier 2020, la compétence eau et assainissement est transférée aux intercommunalités. Les communes membres de communautés de communes qui n’exerçaient pas la compétence eau et assainissement ont pu obtenir un délai jusqu’au 1er janvier 2026. L’eau est considérée en France comme faisant partie du patrimoine commun de la nation mais le droit à l’eau n’est que partiellement reconnu. La Loi sur l’Eau et les Milieux Aquatiques (LEMA) de 2006 prévoit que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable, dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Toutefois, cette formulation n’inclue pas l’assainissement et ne répond pas à l’ambition des différents critères du droit tel que reconnu par les Nations Unies.

Il est tout de même possible d’agir localement et d’aller plus loin que la loi. Un des aspects d’exercice réel du droit à l’eau concerne les modalités de prise de décision : le degré d’inclusion et d’implication réelle des usagers et de leurs représentants.

Services publics d’eau potable et d’assainissement, de quoi parle-t-on ?

Les services publics d’eau potable et d’assainissement sont responsables de la production (pompage et potabilisation), de la distribution d’eau potable, de son assainissement, de son rejet dans les cours d’eau. C’est ce qui s’appelle le « petit cycle de l’eau », par opposition au grand cycle de l’eau qui retrace son trajet dans la nature (écoulement, évaporation, évapotranspiration, précipitations).

On dénombre en 2015 22 208 collectivités responsables de 33 211 services publics d’eau potable et d’assainissement dont 12 143 collectivités responsables de 13 042 services d’eau potable. 69% des services d’eau potable sont gérés de manière publique, 31 % sont confiés à un opérateur privé. En nombre d’habitants, la gestion publique de l’eau couvre 27 millions d’habitants, soit 41 % de la population française et la gestion privée près de 39 millions d’habitants, soit 59 % de la population (rapport d’EauFrance, Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, paru en 2018). Les opérateurs privés se concentrent en effet dans les zones denses avec une population plus importante.

Jusqu’à la loi NOTRe (Nouvelle organisation du territoire de la République, août 2015), la compétence « eau et assainissement » revenait aux communes qui choisissaient librement de confier ou non cette compétence aux intercommunalités. Depuis, elle est progressivement transférée aux intercommunalités et groupements des communes. La loi prévoit qu’au 1er janvier 2020, les communes aient toutes transféré cette compétence aux intercommunalités (IV de l’article 64 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015), sauf pour les communes membres d’une communauté de communes qui n’exerçaient pas en août 2018 les compétences eau et assainissement. Celles-ci peuvent transférer la compétence au plus tard au 1er janvier 2026 (article 1 de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018).

Ce transfert de compétence supposera pour les collectivités une réflexion sur les modalités de gestion : gestion publique ou délégation au secteur privé ? Gestion participative avec les usagers et les salariés ou gestion plus resserrée ? Quel degré de transparence ? Quel tarif de l’eau potable ?

Ces questions surviennent légitimement quand :

  • L’intercommunalité se voit attribuer une compétence qui pouvait être gérée de manière différente entre les différentes communes constituant son groupement (comme dans le territoire Grand Orly Seine Bièvre de la Métropole du Grand Paris) ;
  • Il paraît utile d’harmoniser la gestion et les tarifs de l’eau sur le territoire ;
  • La compétence est confiée à un syndicat intercommunal et que les changements institutionnels nécessitent de reprendre position sur la gestion, comme avec le Syndicat des eaux d’Île-de-France ;
  • Un contrat de délégation de service public arrive à échéance.

Pour autant, il n’y a pas d‘obligation à avoir un mode de gestion unique, ni un tarif unique dans une intercommunalité.

Dans le même temps, l’eau est reconnue « patrimoine commun de la nation » (article L. 210-1 du Code de l’environnement) : « sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général ». Il est admis par le droit français que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous » (article 210-1 du même code). Les coupures sont officiellement interdites (article L. 115-3 du Code de l’action sociale et des familles) et nombre d’opérateurs privés ont été condamnés récemment pour avoir coupé ou restreint le débit à des ménages. Le droit humain à l’eau est reconnu depuis 2010 par l’Organisation des Nations Unies, qui dans plusieurs de ses instances étudie et promeut cette notion.

Par conséquent, même si le droit à l’eau n’est pas encore reconnu dans le droit français, une responsabilité importante pèse sur les épaules des élus en charge de l’eau potable et de l’assainissement pour garantir de l’eau de qualité pour tou.te.s dans les conditions acceptables.

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Pourquoi favoriser la participation des usagers ?

Les biens communs requièrent une gestion par les usagers

L’eau est un bien commun, c’est à dire une ressource en accès partagé et collectif, dont l’usage est indispensable à la vie. Elle devrait donc obéir à des règles de gestion démocratiques : les usagers s’organisent pour gérer l’eau de telle sorte qu’elle ne s’épuise pas. Cela évite toute forme de prédation sur la ressource. L’implication des usagers est un gage de gestion durable parce qu’il prend en compte tous les intérêts en jeu et que les usagers ont pour objectif ultime la préservation de la ressource puisqu’elle leur est nécessaire.

Assurer l’efficacité du service par la cogestion avec les agents

L’implication des employés du service au processus décisionnel est aussi une assurance d’une gestion efficace : ils ont l’expertise technique et leurs intérêts sont mieux pris en compte.

L’exigence de transparence des informations

La transparence de l’information

La transparence de l‘information est le préalable indispensable à toute forme de gestion ouverte : elle concerne les éléments biologiques (qualité de l’eau), techniques (état des infrastructures), juridiques (contrats, rapports) et économiques (composition de la facture, données financières). Sans ces informations, ni les élus, ni les représentants des usagers et encore moins les habitants ne peuvent se prononcer sur la gestion du service.

Garantir l’accessibilité des informations

La meilleure posture, quel que soit le mode de gestion, est de mettre en ligne toutes les informations disponibles et publiables, assorties le cas échéant de synthèses et d’explications. Aussi, la collectivité et/ou le délégataire ont une obligation morale d’être les plus transparents possibles.

Les dispositifs légaux de participation

La commission consultative des services publics locaux (CCSPL) est une instance consultative légale à laquelle participent des associations. Avant toute modification importante d’un service public (création d’un service public à personnalité morale, délégation d’un service public), la commission est saisie. Elle donne également son avis sur les rapports officiels (rapport d’activité, rapport annuel, rapport relatif au prix et à la qualité de l’eau). Cependant, pour impliquer les usagers dans la gestion d’un service public d’eau potable, il est indispensable de faire plus. La commission de contrôle financier permet de contrôler les délégations de service public. Pourtant obligatoire, la CCF est trop peu utilisée par les collectivités.

Organiser une participation plus poussée

Existence ou absence d’une mobilisation préalable en faveur de l’eau

En cas d’existence préalable d’une mobilisation d’associations locales en faveur de l’eau, il sera aisé d’instaurer des mécanismes d’implication des usagers et de leurs représentants et de les trouver. Dans le cas contraire, il s’agira de construire la participation et donc de faire émerger la question de l’eau comme une question politique.

Les comités des usagers extra-municipaux

Il est possible de créer des comités des usagers extra-municipaux, consultatifs, dans lesquels siègent des représentants des usagers. Pour renforcer la gestion démocratique, il est même possible que ces comités disposent d’un représentant au conseil d’administration du service d’eau potable, en cas de gestion publique.

La participation au conseil délibérant avec ou sans vote

Au sein du conseil délibérant, si le service est doté de la personnalité morale, alors les usagers, les représentants du personnel peuvent être représentés. Des personnalités qualifiées peuvent aussi être présentes. Libre à la collectivité de décider de leur octroyer ou non un droit de vote.

Une participation citoyenne élargie

En cas de décision importante à prendre (par exemple le changement d’un mode de gestion), le référendum ou la consultation locale sont des outils efficaces de légitimation d’un choix et d’implication des habitants. Le jury citoyen (tiré au sort) peut quant à lui être utilisé en cas d’une crise et d’un conflit qui semble irréconciliable entre des points de vue contradictoires.

Un degré de participation différentielle selon le mode de gestion

Les services en délégation de service public sont par principe les plus éloignés de la gestion participative. Les syndicats intercommunaux ont un mode de désignation favorisant la représentation des élus de la majorité. Les régies à seule autonomie financière ont un conseil d’exploitation consultatif, car c’est l’assemblée délibérante de la collectivité qui prend les décisions. Les régies directes et les sociétés anonymes à capitaux publics n’intègrent pas les usagers dans les instances de délibération, seuls les détenteurs des capitaux publics siègent. Il leur faut créer en parallèle des instances consultatives. Les régies à personnalité morale et autonomie financière disposent d’un conseil d’administration qui peut intégrer les usagers et rien ne leur interdit de créer des comités des usagers.

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